
«Ô temps ! Suspends ton vol », écrit le poète. Emmanuel Macron, bien que « maître des horloges », ne dispose pas de ce luxe. Il a dû au contraire hâter le pas pour choisir le Premier ministre qui mettra en musique sa « réinvention ».
Il y avait urgence, en effet, à prendre un parti et à l’annoncer. Une fois « enjambé » le second tour des Municipales, aux doutes sur ses capacités de « DRH de la République » : trop lent à décider pour un résultat discutable — la nomination de Christophe Castaner place Beauvau au terme de treize longs jours, en octobre 2018 —, trop flou sur l’après-crise alors que le pays traverse une récession inédite.
Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont donc pris tout le monde de court, alors qu’un conseil des ministres dit « des adieux » était prévu ce vendredi. Trois années aussi intenses que mouvementées à Matignon se sont soldées par un bref communiqué diffusé par la présidence de la République, le matin, puis par une passation des pouvoirs extrêmement touchante, en fin d’après-midi. « Je suis très heureux de vous passer le flambeau », a dit Édouard Philippe à son successeur. « C’est une charge assez lourde », a-t-il ajouté en forme d’euphémisme.
Le futur maire du Havre quitte donc « l’enfer de Matignon », une expression qui n’a jamais été aussi juste. Nommé pour poursuivre et approfondir la fracturation de la droite, sa famille d’origine — la poutre travaille encore, avait-il coutume de dire —, mais aussi pour réformer au pas de charge, il a dû affronter pas moins de trois crises majeures en trois ans.
Les Gilets jaunes, à l’automne 2018, le prennent par surprise, comme tout le monde. Il fait montre à cette occasion d’une ferme détermination, que certains assimilent à de l’obstination. N’a-t-il pas dès l’été 2018 imposé, à rebours de l’opinion publique, la limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes de France ? Ne se refuse-t-il pas, dans un premier temps, à renoncer à la taxe carbone, dont l’instauration a cristallisé les exaspérations ?
La réforme des retraites apporte une nouvelle épreuve, à peine un an plus tard. Là encore, le Premier ministre ne veut pas en démordre : pas question de mettre en œuvre un régime universel par points sans en assurer l’équilibre financier. Son attachement opiniâtre à un « âge pivot » fâche tout rouge le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, jusqu’alors meilleur allié du gouvernement sur ce dossier. Long, massif, parfois violent, le conflit social qui s’ensuit met une nouvelle fois en lumière une certaine raideur du Premier ministre. Considérée par certains comme une qualité nécessaire pour forcer la main aux « Gaulois réfractaires », celle-ci ne manque pas d’agacer une frange de la majorité présidentielle, et jusqu’à l’Élysée, où conspirent quelques intrigants.
La troisième crise, extraordinaire parce qu’inédite et meurtrière, est bien sûr l’épidémie de coronavirus. Le président se déclare en guerre, mais c’est le Premier ministre qui est en première ligne. Aux envolées lyriques d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe préfère un langage de vérité parfois abrupt. Au fil des semaines, durant le confinement, il s’impose comme un général infatigable auquel échoient les tâches les plus ingrates. Faire fonctionner un pays à demi-tétanisé, assumer des mesures privatives de liberté et, dans un premier temps, annoncer les mauvaises nouvelles. Il ne ménage pas sa peine, multiplie les séances publiques de pédagogie, devant le Parlement ou lors de conférences de presse-marathons.
Devenu populaire, autant qu’au début du quinquennat et bien plus que le président, il fait savoir qu’il n’a pas l’âme d’un « collaborateur », dans une interview à Paris-Normandie : « Le président sait ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire ». Un message assez clair sur l’autonomie qu’il entendait conserver « quoi qu’il en coûte ».
Emmanuel Macron a tranché. Mais Édouard Philippe ne part pas sur un échec. Très ému, il a quitté la cour de Matignon sous une longue ovation, après avoir exalté le sens de l’État. Un concept qui peut paraître suranné, mais qui n’a jamais été plus actuel.
July 04, 2020 at 09:50AM
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Le parti pris de Sophie Coignard : « Édouard Philippe : fin (provisoire) de partie » - Paris-Normandie
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Sophie Paris
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